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« Valet »​, « prof »​, « petite fille »​… le décryptage du non verbal des candidats

Huit des douze candidats à la Présidentielle étaient présents pour l’émission de TF1 « La France face à la guerre » ce 14 mars 2022.

Ils ont chacun livré en début d’émission une « profession de foi » d’une minute. Le décorum était intéressant : les candidats se sont exprimés debout sur un plateau vide, sans pupitre, avec des spectateurs sur les quatre côtés. Bref, une situation à laquelle ils ne sont pas complètement habitués.

Ils ont ensuite chacune et chacun été interrogés par les deux journalistes Anne-Claire Coudray et Gilles Bouleau. Ils avaient une chaise à leur disposition mais avaient le choix de s’asseoir ou de rester debout… ou un peu des deux.

Ils ont enfin été invités à donner une réponse aux autres candidats suivant le même décorum que dans la première partie. Dans la réalité, ils ont simplement tous livré leur conclusion qu’ils avaient préparée en amont de l’émission.

Dans cet article, je livre une analyse de leur prise de parole en termes de non verbal (le corps) et de paraverbal (la voix avec son rythme, sa puissance, ses silences…). Je ne me concentre ni sur le contenu (les idées) et très peu sur les mots utilisés (le verbal). Ma matière première est leur « profession de foi » mais je parlerai également brièvement des deux autres séquences.

Au préalable, il est très frappant de constater que quatre candidats sur les huit ne savent absolument pas comment se tenir sur scène. Ils sont embarrassés avec leur corps, n’ont pas conscience de leur posture et l’image qu’elle renvoie : Anne Hidalgo, Valérie Pécresse, Eric Zemmour et Fabien Roussel. Un accompagnement d’une heure aurait suffi pour travailler sur le sujet. Les quatre autres ont conscience de leur posture et savent comment en tirer parti : Marine Le Pen, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot.

Allons voir un peu plus en détail ce qu’il se passe du côté de chacune et de chacun.

Marine Le Pen, la cow girl

Marine Le Pen arrive sur le plateau avec une forme de nonchalance et d’assurance qui peut rappeler certaines des meilleures séquences des grands westerns de Sergio Leone.

Elle commence par un « bien » qui veut dire « on va penser aux choses sérieuses les coyotes, I’m in charge ».

 

Sa mine est sombre et accusatrice après les sourires polis d’usage.

Son ancrage n’est pas immédiatement efficace et cela se double de quelques « euh » qui  parasitent son discours, mais après quelques secondes elle trouve ses marques. Et c’est une leçon pour toutes celles qui me disent « Oui mais avec les talons c’est impossible d’avoir un ancrage au sol ». Celles-là, je leur promets à chaque fois qu’un jour j’essaierai.

Un jour, j’essaierai.

La main droite de la candidate martèle dans l’air au moment où elle parle « des choix politiques erronés ». C’est un geste qu’on appelle ponctuateur : il ne dessine rien de concret mais permet d’affirmer son autorité. Les gestes ponctuateurs sont très prisés des femmes et hommes politiques. J’ai lu il y a longtemps une étude, dont je n’ai pas la référence sous la main, et qui démontrait que les politiques de droite les utilisaient plus que les politiques de gauche.

 

Le regard est bien distribué sur les dizaines de spectateurs qu’elle a en face d’elle, mais elle ignore quasi complètement les 4 millions qui regardent à la télévision.

Dans la deuxième partie d’échanges avec les journalistes, elle choisira d’être assise pendant l’ensemble de l’échange.

Enfin sur la troisième partie, sa conclusion, elle est très efficace. Son ancrage est parfait, elle crée des ruptures de ton mais décide de nouveau de ne s’adresser quasiment qu’aux spectateurs présents. Le paraverbal est vraiment au service du verbal, par exemple quand elle parle de « la petite musique » avec des ruptures très réussies là où d’autres auraient dit la même chose en semblant réciter.

 

Sa dernière phrase : « La nation il n’y a que vous pour la préserver et la nation elle ne protège que le peuple français ».

En résumé : la cow girl renvoie une impression de force tranquille, mais il faut pas la chercher, parce qu’elle peut tirer plus vite que son ombre.

Emmanuel Macron, le mini-Chirac

Quand je parle de Jacques Chirac, il faut penser à celui des années 1970 qui était très vif avec des gestes saccadés et un ton sorti de la mitraillette (désolé pour la métaphore pas bienvenue en ce moment). Il ne faut pas penser à celui des années 1990 qui était devenu calme, posé, presque rond avec des grands silences.

Le Président-candidat a un tout petit peu de mal à commencer avec une respiration bruyante préalable à son premier mot qui transpire le trac (alors que tout le reste inspire la décontraction de prime abord).

L’ensemble est extrêmement dynamique avec des gestes saccadés, des mains très présentes qui avancent, avec ou sans les poings. C’est ça le mini-Chirac. Mini parce qu’Emmanuel Macron est bien plus petit que l’ancien Président (et au passage que Gilles Bouleau et Anne-Claire Coudray). Il appuie sur les mots importants mettant en valeur de manière ciselée et affirmée les mots importants de son intervention.

 

L’ancrage est parfait. Un bon ancrage, c’est de l’assurance, c’est de la confiance en soi, c’est l’image de quelqu’un que rien ne peut ébranler : un arbre ! Il ne fait aucun déplacement, eh oui, aucun intérêt en une minute. La posture est bien verticale.

On voit bien la légion d’honneur sur un costume et une cravate très sombre : l’objectif est clairement de faire Président, et ça marche plutôt bien. On retrouve également les gestes ponctuateurs dont j’ai parlé pour Marine Le Pen.

Dans la deuxième partie, il choisira également d’être assis. D’humeur ludique, il décide de titiller un peu les animateurs, en précisant deux fois qu’il s’agit d’un re-bonsoir et non pas d’un simple bonsoir (deux fois : on est au bord du relou). Il va ensuite les rendre fous en dépassant largement son temps de parole et en y prenant visiblement du plaisir. Taquin !

Enfin dans la troisième partie, il rentre de nouveau assez rigolard, s’adresse au public et énerve encore tout le monde en dépassant son temps.

 

Sa dernière phrase : « Pour relever ces crises, pas de peur. De l’ambition, du respect et de la bienveillance, j’en suis convaincu ».

En résumé : le tempérament d’Emmanuel Macron c’est d’être dans l’action et de le montrer. Un mini-Chirac.

Anne Hidalgo, la petite fille

Anne Hidalgo c’est la petite fille parce qu’elle se balance d’un pied sur l’autre dans une veste qui semble trop grande pour elle. Ça fait pas très Présidente (combien déjà dans les derniers sondages ? Ouh, je suis cruel).

Elle n’arrêtera jamais de se balancer toute cette minute.

 

La candidate utilise beaucoup les gestes métaphoriques, qui illustrent concrètement ce qu’elle dit,, mais elle oscille entre des gestes appropriés et des gestes trop petits qui renforcent encore cette impression de « petite fille ».

Et puis tout va trop vite chez Anne Hidalgo, comme si elle était interrogée pendant le cours d’éducation civique : le regard parcourt trop vite le public et les mots sortent trop vite de sa bouche. Elle finit par un petit salut comme si elle remerciait tout le monde d’avoir écouté sa récitation jusqu’au bout.

Dans la deuxième séquence face aux journalistes elle décide de rester debout, et on retrouve de nouveau le balancier et le « trop rapide ». Elle aurait certainement dû s’asseoir et parler vraiment aux journalistes plutôt que refuser le siège et continuer à s’adresser à droite et à gauche sans jamais fixer son regard.

Dans sa conclusion enfin, elle réussit à être beaucoup plus convaincante avec moins de balancier, plus de silence et un regard qui se plante dans celui du téléspectateur et aussi des spectateurs.

Sa dernière phrase : « Je vous propose de faire en sorte que ensemble nous changions d’avenir ».

En résumé : un vrai manque d’incarnation du rôle de Présidente qui empêche sûrement les électeurs de se projeter et de la propulser…

Valérie Pécresse, la comédienne qui a séché les cours

Les défauts qu’on peut retrouver chez beaucoup de comédiens débutants sont tous présents chez Valérie Pécresse.

  • Elle se place au « bon » endroit avant de commencer à parler comme si le metteur en scène lui avait dessiné une petite croix
  • Elle a le menton en avant, c’est un classique de la comédienne qui débute
  • Ses déplacements sont erratiques : elle piétine à droite et à gauche en faisant l’essuie-glace
  • La prosodie (le rythme donné aux phrases) est artificielle, reproduite à partir de stéréotypes. Pareil pour les gestes. Elle n’incarne pas, elle exécute.
  • Elle finit avec un sourire figé

Valérie Pécresse

Dans la deuxième partie de l’émission, on reproduit la même chose : elle reste debout et ne trouve aucun ancrage.

Et dans sa conclusion ? Suspens.

Bon bah, pareil mais les yeux dans les yeux, et ça c’est une bonne idée pour une conclusion.

Mais arrêtons-nous sur cette séquence parce qu’elle nous fait vraiment comprendre pourquoi la candidate sonne faux par excès de « plaquage ».

 

Voilà comment elle la « joue » : [Intention : fermeté] « Être Présidente, c’est avoir la main ferme contre les ennemis de la France et de la République et ma main ne tremblera pas. » [Intention : respect] « Être Présidente c’est aussi avoir une main respectueuse vis-à-vis des français qui veulent être rassemblés et considérés ».

Et ça fait artificiel parce que ça n’a pas de sens de plaquer ces intentions de cette façon. L’histoire qu’elle veut raconter n’est pas celle-là. L’intention à « jouer » est celle du « à la fois », du « aussi » et c’est ça que cette phrase aurait dû porter. Cela aurait sonné beaucoup plus naturel.

Sa dernière phrase : « Si vous m’honorez de votre confiance, je veillerai à défendre la France et à protéger le peuple français ».

En résumé : les techniques de communication visibles et mal appliquées de Valérie Pécresse lui font perdre toute authenticité. La France a certainement besoin de quelqu’un qui est capable de bien prendre la parole en son nom…

Eric Zemmour, le curé

On le sait, Eric Zemmour a le dos voûté. Mais j’ai le sentiment qu’il pourrait quand même ouvrir plus et gagner en verticalité.

Ce qui est certain en tout cas, c’est qu’il est hyper-raide avec les bras qui font des petits mouvements le long du corps avant de remonter au bout d’une dizaine de secondes. Mais bon ancrage au sol.

 

Et là les mains se joignent l’une à l’autre comme dans une prière. Elles ne se quitteront quasiment plus. D’où cette allure de « curé » voûté et donc soumis, le contraire de l’image que le candidat souhaite renvoyer. Le regard est fixe (d’ailleurs qui dans le public a eu le privilège d’être fixé par Mister Z pendant une minute entière ? Quelle chance, pas du tout stressant !).

Eric Zemmour

Même le ton est loin de son habituelle aisance et pugnacité. La prosodie est répétitive et la voix se fait presque douce. Le sourire contrit du candidat à la fin de cette minute nous en dit pas mal sur ce qu’il a pensé de lui-même.

Eric Zemmour

Mais évidemment il se rattrape dans la deuxième partie, assis face aux journalistes : c’est son terrain de jeu favori ! Il parle avec beaucoup de conviction et utilise beaucoup les gestes métaphoriques.

Et la conclusion… bon c’est le drame. Il démarre pareil, tout raide et récite son texte en faisant sa prière. Mais il a des trous de mémoire, butte, se reprend. Il finit complètement éteint, robotique, désincarné. Un crash en direct.

 

Sa dernière phrase : « Le 10 avril, choisissez-moi, choisissez la France ».

En résumé : Eric Zemmour est très bon dans le débat, il est très loin de l’être debout sur un plateau face à un public ou une caméra. Un blocage. Ça se débloque, mais il faut bosser.

Jean-Luc Mélenchon, le prof de fac

Au début de son intervention, Jean-Luc Mélenchon prend son temps, il sourit et se frotte les mains. Comme ce prof de fac qui prenait possession de l’estrade dans votre amphi en sachant à l’avance comment il allait encore réussir à surprendre ses étudiants.

 

Et puis il pointe du doigt, il ferme les poings, il invective, notamment dans cette belle montée.

 

J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire de nombreuses fois, Jean-Luc Mélenchon est un excellent orateur : le style est naturel, il donne l’impression de créer son texte au fur et à mesure qu’il le dit, l’ancrage est parfait et sans effort, le regard est porté, le ton est affirmé, les gestes accompagnent parfaitement le discours…

Et puis quand Anne-Claire Coudray lui fait comprendre qu’il va falloir quitter la scène, il l’apostrophe sèchement d’un « je finis ! ». C’est qui le prof ? C’est Monsieur Mélenchon.

 

Sur la deuxième partie, face aux journalistes, il commence assis et puis il se lève et enfin se rassoit. Il est chez lui. Et on remarque que la raison pour laquelle il est si bon dans sa prise de parole c’est en grande partie grâce à sa congruence : quand le corps, la voix et les mots sont parfaitement alignés pour incarner une émotion, souvent la colère chez le candidat (c’est qui la République au fait ? Bah c’est moi. Enfin, c’est lui quoi).

Enfin dans sa conclusion il vient étrangement avec un papier à la main qu’il ne regardera jamais.

Jean-Luc Mélenchon

Bah oui, c’est le prof on vous a dit ! Il décide de parler au public plutôt qu’à la caméra, parce que c’est ce qu’il préfère, le public. Et il donne l’impression d’improviser.

Sa dernière phrase : « On a un programme crédible, il est chiffré et nous sommes une masse, la France parle au monde ».

En résumé : un grand orateur, un personnage très incarné. Du tempérament… qui lui joue parfois des tours.

Yannick Jadot, le grand échalas

Le bonhomme mesure 1m89. C’est le seul qui est plus grand qu’Anne-Claire Coudray et Gilles Bouleau. Ça impressionne mais il peut sembler presque trop grand pour ce plateau.

Yannick Jadot

Souriant, prenant le temps, Yannick Jadot apparaît très décontracté. Il trouve un très bon ancrage au sol et regarde les téléspectateurs dans les yeux par le truchement de la caméra. Et puis à mi-chemin, il décide de s’intéresser plutôt au public.

Il utilise la bonne vieille technique de l’anaphore (une série de phrases qui commencent par « Pendant cinq ans… ») et voilà que sa voix et ses gestes se mettent à scander. La même rythmique vocale dont on pourrait presque faire un rap ou un slam et le même geste avec une ou deux mains. C’est très répétitif dans cette gestuelle, dans ce non verbal, trop répétitif. Il faut absolument que Yannick Jadot s’exerce à utiliser les gestes métaphoriques, ceux qui dessinent dans l’espace les mots qui sont prononcés.

 

Dans la deuxième partie face à Anne-Claire Coudray et Gilles Bouleau, Yannick Jadot assis apparaît très à l’aise, avec le corps en avant, de l’engagement et de la congruence.

Enfin sa conclusion se fait d’abord face caméra, puis adressée au public et de nouveau face caméra. Les gestes sont de nouveau répétitifs, et l’emportement le fait paraître trop grand, presque affaissé de cette taille.

Sa dernière phrase : « Le vote écologiste, c’est le vote de la vie tout simplement ».

En résumé : une belle présence, légèrement diminuée par des gestes et une prosodie répétitifs.

Fabien Roussel, le valet de chez Monsieur Molière

Quand je parle valet, je pense Sganarelle dans Dom Juan, Scapin dans ses Fourberies, mais aussi Toinette dans Le malade imaginaire  par exemple. Ce sont toujours celles et ceux qui sont malins, qui s’opposent aux obsessions de leurs maîtres et défendent souvent la jeunesse. Ils sont agiles et rapides, exactement comme Fabien Roussel dans son entrée qui y ajoute quelques petits saluts courts et saccadés. Il endosse tellement ce rôle de valet défenseur des faibles qu’il finit par se pencher en avant avec des gestes répétitifs et non contrôlés. Il n’a clairement aucune conscience de ce que son corps produit, et un petit salut spontané couronne le tout. La protection du pupitre en avait fait un orateur de bon niveau, cette performance a tendance à nous démontrer le contraire.

 

Dans la deuxième partie avec les intervieweurs il s’assoit, se lève, se rassoit, se relève… Et il part en mode standup plutôt réussi avec quelques blagues bien senties. C’est toujours l’espièglerie de Scapin.

 

Et enfin dans sa conclusion il regarde la France dans les yeux (ou plutôt dans la caméra) et c’est très certainement ce qu’il fallait faire à ce moment-là. Cela lui permet de contrôler un peu mieux son corps puisqu’il ne lui impose plus de déplacement. Il transmet une très forte conviction et bien entendu il nous ressert son petit salut. A bientôt Scapin ! On t’aime bien mais on sait que tu n’auras jamais ta place à la table de ceux qui gouvernent le monde.

Sa dernière phrase : « C’est la France des jours heureux, c’est la France de la paix, c’est la France que je vous propose de construire tous ensemble ».

En résumé : agilité et humour sont des caractéristiques saillantes chez Fabien Roussel, mais il y a en contrepartie un souci d’incarnation du rôle de Président.

Toujours apprendre

En dehors de toute considération politique, nous avons à apprendre de tous ces candidats en terme de communication : faites comme celles et ceux qui sont capables de mettre leur corps et leur voix au service de leur message avec engagement et maîtrise technique. L’ancrage au sol, la verticalité, les gestes ouverts et métaphoriques, le regard porté, les silences, les variations, la transmission d’émotion… voilà autant d’éléments que vous devez garder en tête pour vos prises de parole !

Apprenez aussi à vous améliorer en observant les points d’accroche chez les autres : le balancier, le piétinement, le ton récité, la non-conscience de son corps…

Et puis faites ! On progresse en pratiquant et en étant guidé.

pascalhaumont« Valet »​, « prof »​, « petite fille »​… le décryptage du non verbal des candidats
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